Claude Rolin est un syndicaliste. Il a été Secrétaire général du premier syndicat belge, la Confédération des Syndicats Chrétiens (CSC) et a siégé au Comité directeur de la Confédération des Syndicats Européens (CES). Entre 2014 et 2019, il a, comme député européen, été vice-président de la Commission Emploi et Affaires sociales. Licencié (master) en Politique économique et sociale, il préside actuellement la mutualité chrétienne de la province du Luxembourg belge (soins de santé).
Dans le « Soir » de ce matin, un édito particulièrement
interpellant de Béatrice Delvaux, à propos de la crise politique qui secoue le
parti d’Angela Merkel. La présidente actuelle de la CDU, Annegret
Kamp-Karenbauer a démissionné suite au soutien des élus conservateurs et de l’extrême
droite de Thuringe pour élire un Ministre-Président libéral.
Comme Béatrice Delvaux le note avec justesse, cette crise met en évidence le poids croissant de leader d’extrême droite dont certains ont des discours qui «s’inspirent ouvertement du nazisme », mais aussi de la déliquescence des formations démocrate-chrétienne et sociale-démocrate. Elle rappelle que la « Thuringe fut la première à élire un gouvernement de coalition entre la bourgeoisie conservatrice et le parti d’Adolf Hitler ». C’est pour le moins interpellant.
Les temps sont certainement différents, mais il ne nous faut pas oublier
les leçons de l’histoire. Cette situation ne se limite pas à l’Allemagne et les
partis démocratiques, dans l’ensemble de l’UE doivent se resaisir, car à force
de banaliser les discours de l’extrême droite le pire redevient possible. En la
matière, si tous ont leur responsabilité, le parti populaire européen (PPE) se
doit de réagir. Va-t-il encore longtemps cautionner les dérives illibérales du
hongrois Orban ou l’alliance de Forza Italia avec la Léga et les néo-fascistes
italiens. Les partis libéraux et sociaux-démocrates doivent également prendre
leurs responsabilités. À titre d’exemple, le parti libéral allemand fait bien
partie du groupe Renew au parlement européen et le groupe social-démocrate
conserve en sont sein la formation slovaque de Robert Fico ou des socialistes
maltais.
Défendre la démocratie, c’est refuser toute compromission avec l’extrême droite
mais cela exige de redonner un sens à l’engagement politique en rendant sa
centralité à la personne humaine et en empoignant résolument la question
sociale pour offrir un avenir à toutes celles et ceux qui se sentent oubliés et
laissés sur le côté du chemin.
La semaine dernière, « Business-Europe », l’organisation du patronat européen, a publié ses recommandations pour les futures relations avec les Britanniques. Le bulletin de l’Agence Europe du 6 février relate la volonté du patronat européen d’exiger la réduction des écarts entre les différents systèmes réglementaires, de sécurité sociale et de fiscalité. Concrètement, cela veut dire que nos législations sociales, notre fiscalité ou notre sécurité sociale devront se rapprocher de celles des Britanniques. De plus, l’organisation patronale plaide pour encore pus de libéralisation dans les services en y incluant, notamment, les services audiovisuels. Une fois de plus, cette organisation, imbibée des dogmes néo-libéraux, veut casser le modèle social européen.
Dans son édition
du 22 janvier 2020, le quotidien « Le Soir » évoque les multiples
fonctions d’Amid Faljaoui, directeur de Roularta (Le Vif – Trends). En effet,
celui-ci est également administrateur délégué du Cercle de Wallonie,
administrateur de l’UCM, membre de l’Institut des experts- comptables et conseiller
pour la Banque Degroof-Petercam. Dans son article, Xavier Counasse note que,
selon un courriel de Bruno Colmant, cette dernière collaboration répond à une
situation où « nous vivons une période de crise qui demandera des
relais médiatiques très puissants » et que c’est dans ce cadre qu’il souhaite
qu’Amid Faljaoui joue un rôle plus important.
Pour le moins,
cela témoigne de la volonté des milieux financiers à façonner les esprits pour
qu’ils intègrent les volontés de la finance. Effectivement, il s’agit là d’une
question de déontologie journalistique.
Cet article me
conduit à une autre réflexion. Comme beaucoup, je suis un habitué de classique
21 ou monsieur Faljaoui tient une chronique quotidienne. Il n’est certainement
pas question ici de remettre ici en cause la qualité de ses chroniques, mais une
radio publique doit-elle se faire le relais exclusif de la pensée d’un acteur
du monde financier ? L’économie n’est pas une science neutre, elle est
fondamentalement politique. Il n’est donc pas acceptable que son expression,
dans un média populaire, soit monopolisée par une seule vision politique.
Pour le moins,
notre radio publique doit donner le même espace à d’autres visions de l’économie.
Il est grand temps que les responsables de la RTBF en tirent les conséquences.
Intervention pour le groupe Fopes de
Verviers18/01/2020
Evolutions
Contrairement à ce que l’on
pourrait habituellement penser la question environnementale est cœur de l’histoire
des syndicats. A titre d’exemple j’évoquerais l’enquête menée en 1899 par le
premier Secrétaire général de la CSC, le Père Rutten qui entreprendra une
enquête sur les conditions de vie des mineurs. Condition de vie dans les
charbonnages mais également conditions de vie (logement, éducation…) hors de
l’entreprise.
Évidemment, à l’époque il n’est
pas question d’effets de l’activité économique sur le climat, la question se
limite aux conditions de travail et aux conditions de vie des travailleurs. Ne
l’oublions pas, ceux-ci sont souvent les premières victimes des effets négatifs
de la production. Les premiers à respirer l’air pollué sont les
travailleurs ; dans l’entreprises puis chez eux car souvent ils vivent
dans la proximité directe du lieu de production. Pensons à la production
d’amiante ou aux agriculteurs qui aujourd’hui sont les premiers à contracter
des cancers en lien avec l’usage qu’ils font des produits phytosanitaires.
Il faut reconnaître que la
question s’est longtemps limitée aux enjeux de santé et de sécurité et à
l’environnement direct de l’entreprise sans poser la question de la croissance
ou de la finalité de la productivité.
A la fin de la seconde guerre
mondiale, les syndicats sont d’ailleurs actifs dans l’Office Belge de l’Accroissement
de la Productivité.
Il vaudrait la peine de faire une étude
historique pour suivre le développement de la question environnementale dans
les organisations syndicales mais en me fiant uniquement à mon expérience
personnelle et à la mémoire que j’en ai gardé je situerais l’émergence des questions
écologiques dans les années à la fin des années 70. A la CSC (la FGTB a connu
le même type d’évolution) c’est au niveau des Jeunes CSC que la revendication a
émergé. Je me souviens qu’avec un groupe de jeunes en province de Luxembourg
nous avions interpelé le Secrétaire général de l’époque sur les contradictions
syndicales en la matière. C’est un peu plus tard que je fus le premier
permanent à être chargé de l’environnement.
Lors de son
congrès national en 1990, la CSC ouvrira le débat sur la question de
l’environnement. Il y sera décidé de développer des projets intersyndicaux de
sensibilisation à l’environnement. Six ans plus tard, un réseau commun avec la
FGTB verra le jour. Il continue à développer son activité en direction des délégués
syndicaux dans les entreprises et à développer différentes actions de
mobilisation. A titre d’exemple, le service de formation de la CSC (FEC)
publiera un ouvrage de plus de 200 pages « Comprendre
l’environnement »[i].
A partir de 2007 les syndicats s’engageront contre le réchauffement climatique
et participeront notamment aux conférences mondiales sur le climat en
coordination avec la Confédération Syndicale Internationale.
Les syndicats seront également impliqués
dans les différents lieux de concertation sur les enjeux environnementaux et de
développement durable (CESW, CFDD, …).
Je terminerai cette évocation de
l’évolution de la prise en compte de la question environnementale par une
organisation comme la CSC en évoquant les décisions prises lors de son dernier
congrès en 2019 :
A cette occasion la CSC s’est penchée
sur l’avenir du travail (Quel travail demain ?). Sur 25 résolutions, une dizaine abordent des
enjeux environnementaux ou de développement durable. La première porte sur la
transition juste et exige qu’elle « ne se limite toutefois pas à
accompagner les travailleurs et les travailleuses à travers les changements et
à faire face aux conséquences. Il s’agit tout d’abord de piloter
démocratiquement la transition, tant sur le plan politique que sociétal, avec
une forte contribution de la société civile et en reconnaissant les citoyennes
et citoyens, les travailleurs et travailleuses, et la société comme acteurs de
changement ». On y retrouve également une proposition visant à la
taxation des technologies nocives, l’intégration des conditions
environnementales dans les marchés publics, l’interdiction des multinationales
qui ne veulent pas respecter les normes sociales et écologiques essentielles ou
l’adhésion aux objectifs de développement durable des Nations Unies.
Une résolution
intitulée « limite de la planète » affirme que la CSC « veut
être un moteur de la transition écologique, tant au niveau global que local. La
transition radicale vers une société climatiquement neutre est
prioritaire ».
En dehors de nos
frontières
Sur le plan européen les
syndicats sont regroupés au sein de la Confédération Européenne des Syndicats
(CES) et sur le plan international au sein de la Confédération Syndicale
Internationale (CSI). A des rythmes différents et en fonction des réalités
régionales du syndicalisme, les évolutions sont assez similaires à ce que nous
avons connus en Belgique.
En 1977, la CFDT (France) publie « Les
dégâts du progrès ». A l’époque cette organisation était porteuse du
courant autogestionnaire et a commencé à développer une vision d’un
syndicalisme ouvert sur les enjeux sociétaux (écologie, féminisme qualité de vie…).
Il faut souligner l’influence du débat intellectuel avec des personnalités
comme André Gorz [ii]qui aura
une importance réelle sur le questionnement syndical vis-à-vis de sa
responsabilité sociétale et des mutations qui le traversent. De son côté, la
CGT, dans son congrès de 1999 se référait au développement durable.
La CES a depuis
quelques années d’importantes démarches de sensibilisations à l’attention des
organisations syndicales nationales et intervient systématiquement dans les
différents lieux de concertation pour défendre et faire avancer le projet d’une
autre économie permettant la mise en place d’une transition juste. Il faut
également souligner le rôle particulier de certaines sectorielles européennes,
je pense notamment à l’action d’Industrielle ou de l’EPSU qui, à titre
d’exemple » fut à l’origine de la campagne pour une initiative citoyenne
« Right2water ».
De son côté la CSI a fait de la
question climatique une priorité avec notamment comme slogan « Pas
d’emplois sur une planète morte ». La CSI s’implique dans les conférences
climatiques et la revendication pour une transition juste pour l’ambition
climatique fait partie des priorités de son programme d’action et des campagnes
qu’elle mènera en 2020.
Il faut néanmoins reconnaître que
le niveau d’implication des syndicats dépend de nombreux facteurs dont la
réalité socio-économique des pays et la force des organisations syndicales. Dans l’Union européenne il faut constater une
importante différence de perception entre les anciens et nouveaux pays. Comme
rapporteur du plan acier pour le Comité Economique et Social Européen je me
suis retrouvé avec une opposition frontale des organisations syndicales et
patronales des pays de l’Est défendant becs et ongles l’alimentation par le
charbon.
Pas un long
fleuve tranquille
Dans un premier temps, la
question environnementale a essentiellement fait partie des enjeux de santé et
sécurité traités par les syndicats. L’écologie ne se situait pas dans un cadre propre.
Jusque dans les années 70, la coexistence de la croissance de l’emploi et de
l’écologie ne semblait pas devoir entrer en contradiction. C’est seulement à
partir de la mise en question de l’idée de croissance que les choses sont
devenues plus conflictuelles.
Si de nombreuses études
démontrent que de façon globale et sur un temps long, l’intégration de
l’écologie par les entreprises est favorable à l’emploi, ce n’est pas toujours
le cas sur le court terme ou pour certaines entreprises ou secteurs en
particulier. Nous devons constater que les périodes où l’emploi est en recul,
la question de l’environnement passe au second plan. C’est classiquement le cas
lors des périodes de crises économiques. C’est encore plus vrai quand les
effets se portent en particulier sur un secteur ou sur une entreprise. Pour
imager cette situation, je vais évoquer brièvement quelques cas vécus :
Depuis plus d’un
siècle, nous savons que l’amiante est toxique, pourtant, c’est seulement
en 2001 que la Belgique en a interdit la commercialisation. Et si la
législation protégeant les travailleurs ou reconnaissant leurs maladies ont
progressé, ce dossier est encore loin d’être fermé. Je me souviens du
témoignage de déléguées syndicales d’une entreprise française expliquant
qu’elles ont tout fait pour retarder la fermeture de leur entreprise et que
c’est seulement après celle-ci, voyant se multiplier les décès de collègues
qu’elles ont compris que l’entreprise continuait à les tuer.
La multinationale
Caterpillar avait spécialisé son site de Gosselies sur la production de
grosses machines de chantier particulièrement efficace en termes
environnementaux. Dans les justifications données par la direction pour
expliquer la fermeture, le fait que ces machines ne trouvaient pas d’acheteurs
à cause du surcoût lié aux exigences environnementales à rendu nombre de
travailleurs peut réceptifs à la volonté de leurs organisations de mieux
intégrer ces questions.
Dans les années
80, en province de Luxembourg, une grande entreprise, la «Cellulose
des Ardennes » produisait son papier avec un procédé utilisant le
chlore dans le processus de blanchiment. Un groupe de Greenpeace a mené une
action pour exiger la fermeture de l’entreprise à cause des dangers pour
l’environnement. Les travailleurs ont fait bloc pour défendre leur emploi et
tenaient le même discours que celui de la direction alors qu’ils étaient les
premiers à respirer les vapeurs de chlore. Il a fallu un important travail
syndical pour rouvrir la discussion sur la nécessité de modifier le processus
de production, pour la santé des salariés, pour l’environnement, mais également
pour éviter qu’une fermeture ne s’impose à cause des dangers liés à la
production. Ce dernier exemple montre qu’il est indispensable d’articuler le
combat syndical avec les enjeux sociétaux, mais surtout qu’une articulation est
nécessaire entre les ONG environnementales et les syndicats. Cette situation
met également en exergue la nécessité de travailler sur les transitions, car sans
pouvoir se construire un avenir, les salariés ne peuvent adhérer à une démarche
qui mettrait en danger leur avenir professionnel.
Révolution ou
évolution ?
Sur base des différences études,
en particulier celle du GIEC, il ne nous reste pas beaucoup de temps pour
réduire l’augmentation de température. Chaque année, chaque mois, sans
modification de notre façon de produire et de consommer provoque des dégâts qui
risquent d’être irréversibles. L’urgence devrait être à l’ordre du jour.
Pourtant, pour reprendre l’expression de Philippe POCHET[iii],
« … la dynamique doit être progressive. La position de radicalité, aussi
légitime soit-elle est probablement juste en termes d’analyses des défis et des
limites d’une approche croyant trop aux solutions technologiques, ne conduit
pas à l’émergence de changements de comportement massif tels que mis en
évidence. Elle pourrait même les bloquer en mettant la barre tellement haut
(sortir du capitalisme, décroître, frugalité) qu’elle ne parviendrait pas à
coaliser suffisamment de forces sociales pour réaliser l’objectif.
Tant au niveau
national que sur le plan européen ou international, les organisations
syndicales sont convaincues de l’importance de travailler à la mise en place
d’une juste transition au sens des principes directeurs définis par
l’Organisation Internationale du Travail.
L’économiste Eloi LAURENT évoque
le paradoxe de l’urgence environnementale[iv]
quand il constate que c’est au moment où les effets sont de plus en plus
tangibles que les préoccupations environnementales deviennent les plus insupportables
dans l’espace public. Bien que son ouvrage ait été publié en 2014 on peut y
voir un des éléments qui a déclenché la crise des gilets jaunes en France (la
taxation des produits de roulage) ou encore aujourd’hui la réaction surréaliste
du Premier ministre australien qui au cœur de l’incendie qui dévaste son pays
refuse de remettre en cause l’utilisation massive du charbon.
Il considère « qu’il
nous faut intégrer les enjeux écologiques et sociaux en nous tenant à égale
distance du catastrophisme abstrait et généralisé et de l’inconscience
matérialiste, que nient les enseignements de travaux scientifiques faisant
pourtant consensus ». Avec lui, j’ai la conviction que « tant
que les questions écologiques ne seront pas systématiquement éclairées sous le
jour des réalités sociales et des inégalités, elles demeureront de l’ordre de la
politique étrangère pour la majorité des citoyens ».
Laurence Scialom [v]
parle d’une tragédie des horizons en constatant que la paralysie des décideurs
publics est renforcée par le fait que les risques financiers climatiques se
réaliseraient à court terme, alors que la politique de transition écologique ne
verra ses effets qu’à long terme ».
Des pistes
concrètes d’actions existent. Il n’est pas possible ici d’en faire l’inventaire
et je me contenterai d’évoquer la dynamique initiée par Pierre Larrouturou[vi]
au niveau du Parlement européen. Il y défend l’idée d’un pacte finance-climat à
hauteur de 1000 milliards visant à soutenir et développer des projets
structurants permettant de rencontrer les objectifs climatiques. À condition
d’en avoir la volonté politique, ceci est loin d’être impossible, car la BCE a
dû mettre beaucoup plus pour sauver les banques et au travers de son opération
de « quantitative easing ».
Le pacte vert présenté par la
nouvelle Commission européenne va dans ce sens. Il ouvre une fenêtre
d’opportunités, un important changement d’orientation même s’il reste
insuffisant en regard des défis.
Le manque d’ambition de la Commission
s’explique facilement par son incapacité de faire plus dans le cadre du budget
actuel. A défaut de disposer de moyens propres la Commission ne peut utiliser
que des trucs et ficelles comme compter sur les effets de leviers.
Comme le proposent les économistes
G. Claeys et S. Tagliapietra [vii]
des outils sont pourtant mobilisables. Selon eux « les deux pistes les
plus prometteuses sont une réforme des règles budgétaires de l’UE et une réorientation
des missions de la Banque européenne d’investissement (BEI) ».
Les organisations syndicales sont
devant une responsabilité importante, mais aussi devant un défi très complexe.
Elles doivent être un des acteurs centraux d’un changement de paradigme
permettant de remettre l’économie et la croissance dans le rôle qu’elles auraient
toujours dû avoir ; être au service des êtres humains, de l’humanité et
des générations futures. Le défi est d’autant plus complexe qu’il se conjugue
avec une transformation rapide des méthodes de production, le développement
rapide de l’économie digitalisée, de l’industrie 4.0 et de la fragilisation des
collectifs de travail.
Au-delà des actions de
sensibilisation et de mobilisation, cela passe par la construction d’alliance
avec notamment les ONG environnementales, mais également pour l’inscription des
enjeux climatiques dans les négociations auxquelles les organisations
syndicales sont impliquées.
L’ambition syndicale se doit donc
d’être à la hauteur de la complexité et de l’ampleur des défis.
Claude ROLIN
[i] Thierry POUCET « L’environnement, le
comprendre pour le construire » EVO Société – 1992
[ii] André GORZ « Capitalisme, Socialisme,
Ecologie » Galilée 1991
[iii] Philippe POCHET « À la recherche de
l’Europe sociale » PUF 2019
[iv] Éloi LAURENT « Le bel avenir de l’État
providence » LLL 2014
S’il est une chose que l’on ne peut pas reprocher à Donald Trump, c’est de
cacher son jeu. Il suffit de l’écouter pour connaître ses intentions. L’Union
européenne, c’est son ennemi, il lui a déclaré la guerre économique, a soutenu
les Brexiter ou pense comme l’illibéral Orban.
Cette semaine, lors du Forum économique de Davos il a précisé sa pensée en
évoquant la négociation d’un éventuel accord commercial avec l’Union européenne
« Si nous ne pouvons pas conclure (…), nous devrons mettre une taxe de 25%
sur leurs voitures ». Il continue en déclarant « Je voulais en avoir
fini avec la Chine. Je ne voulais pas m’occuper de la Chine et de l’Europe en même
temps »[i].
Il est exact que la balance commerciale de l’UE est positive vis-à-vis des États-Unis,
mais est-ce une raison pour céder au chantage agressif et vulgaire du guerrier
Trump ? Nous avons pu faire reculer l’idée d’un TTIP mais le voilà qui revient
sous la forme de plusieurs accords commerciaux dont l’un porte sur la
reconnaissance mutuelle des normes. Pour rappel, la question des normes n’est
pas qu’une question économique, elle est aussi sociale et culturelle. Elle repose
sur une conception de la société, notre conception du bien-être.
Il ne peut être question de ramper devant les diktats d’un président américain qui est convaincu que la politique doit se résumer à la gestion d’un empire immobilier. Pour lui, tout est bon, mépriser les femmes, se moquer de l’avenir de la planète, déstabiliser le monde avec ses agressions militaires, soutenir les faucons israéliens ou l’extrême droite… Négocier avec un révolver sur la tempe, ce n’est pas négocier.
La semaine dernière, le Parlement européen aurait dû se prononcer sur la mise en place de la nouvelle Commission. Il n’en fut rien car trois commissaires doivent encore être désignés. La nomination des commissaires européens est un processus démocratique dont la plupart de nos gouvernements nationaux devraient s’inspirer. Contrairement à ce que certains pouvaient penser, les auditions auxquelles doivent se soumettre les candidats sont tout sauf une formalité. C’est une réelle épreuve à laquelle ils doivent se soumettre en démontrant leur parfaite intégrité ou l’absence de conflit d’intérêts ainsi que leur capacité à maîtriser les dossiers dont ils auront la charge.
Que trois candidats aient été refusés par le Parlement
européen n’est certainement pas anodin, mais cela ne devrait pas provoquer
autant de réactions polémiques. C’est simplement le signe du bon fonctionnement
d’un processus démocratique.
En revanche, ce qui est étonnant, ce sont les réactions
provoquées par l’échec de la candidate présentée par la France. Les grandes compétences
de madame Sylvie Goulard ne peuvent certainement être mises en cause et comme
députée européenne elle a fait preuve de son engagement européen. Ce n’est donc
pas cela qui a conduit à son éviction. Cependant, il était difficilement
imaginable qu’après avoir été contrainte à démissionner de ses fonctions de ministre
de la Défense pour, notamment, un soupçon d’utilisation abusive d’assistants
parlementaires, le Gouvernement présente sa candidature comme commissaire.
L’Union européenne devrait-elle être moins rigoureuse que l’État
français ?
Le mépris pour le Parlement
Les principales raisons de l’échec de cette candidature ne
sont pas à chercher du côté des compétences de madame Goulard, ni même sur les
dossiers instruits à son encontre et sur lesquels elle devrait pouvoir
prétendre à la présomption d’innocence. La raison doit en être imputée à la
stratégie du président français qui a clairement montré sa méconnaissance du
fonctionnement du Parlement européen, mais surtout son mépris pour l’assemblée
des représentants des peuples européens.
Lors du précédent scrutin, le Parlement européen avait obtenu
une victoire importante en imposant le système des « Spitzenkandidaten [i]» comme un premier pas vers une plus grande
légitimité démocratique du président de la Commission. Le président Macron, à
juste titre, avait soutenu l’idée qu’une partie des députés devaient être élue
sur une circonscription européenne. Il s’est appuyé sur cet échec pour
s’opposer au système des « spitztenkandidaten » allant même jusqu’à
mettre en cause les compétences du candidat du PPE estimant, outrage suprême,
qu’il ne parlait pas le français. Le parlement mis hors-jeu, le terrain s’offrait
tout entier aux négociations entre chefs d’État.
De son côté, la tête de liste de la REM, madame Loiseau, est
parvenue en quelques jours à se mettre à dos de nombreux acteurs de son propre
groupe politique en se montrant méprisante lors d’une interview dont elle
espérait qu’aucun élément ne fuiterait.
Cousu de fil blanc
Dans ce contexte, il ne fallait pas être grand clerc pour penser
que la candidature proposée par Macron allait poser problème. Finalement, tout
ceci était très prévisible et ne mériterait pas que l’on y revienne s’il n’y
avait eu les réactions du président français. Celui-ci n’a pas tardé à exprimer
son courroux et son incompréhension. La première fautive était madame Van der
Leyen qui avait choisi Sylvie Goulard dans la liste de trois candidats remis
par Macron. Manque évident de courtoise et de diplomatie, mais pourquoi donc
avait-il glissé ce nom s’il pensait qu’il pouvait y avoir un souci ?
Mais le plus révélateur se trouve dans la suite de ses
déclarations. Comment était-il possible qu’après avoir reçu un hypothétique coup
de fil de la future présidente de la Commission les présidents des groupes
politiques n’avaient pas intimé l’ordre à leurs députés d’opiner en silence à
ce qui leur était proposé. Les parlementaires seraient-ils juste là pour
exécuter les ordres donnés par le président de leur groupe
politique ? Cet épisode pose une
question cruciale qui est celle de la place et du rôle des parlementaires. Des
acteurs d’une démocratie vivante ou des presse-boutons au service d’une logique
particratique ?
Rendre sa place au parlementarisme
Dans un moment où la démocratie représentative est questionnée,
où de nombreux citoyens ne se sentent plus représentés légitimement, il est
nécessaire de revivifier la démocratie en inventant de nouveaux processus
participatifs et délibératifs comme les panels citoyens. Mais n’est-il pas
tout aussi urgent de rendre sa place à l’institution parlementaire ?Si
le rôle des parlementaires doit se résumer à être aux ordres de chefs de
partis, autant ne plus réunir que ces derniers, chacun étant porteur d’un
nombre de votes proportionnels aux résultats des élections.
Il appartient aux exécutifs de s’assurer d’un soutien suffisant
de la part des représentants du peuple ? Cela passe par l’écoute et la
délibération.
Certains défendent l’idée que sans la discipline de groupe il
ne serait plus possible de gouverner. C’est oublier que la démocratie est, par
essence, marquée du sceau de l’indétermination.
Inconfortable, certainement, mais c’est le prix à payer pour la vitalité
de nos démocraties.
Relever les défis sociaux et climatiques
Si la future présidente de la Commission veut pouvoir
s’appuyer sur une plus grande stabilité du Parlement européen elle aurait tout intérêt
à ne pas se contenter du seul soutien des groupes démocrates-chrétiens, socio-démocrates
et libéraux. Elle aurait tout intérêt à laisser la place qui lui revient au
groupe des verts d’autant plus que
l’avenir de la construction européenne dépend de sa capacité à relever les
défis sociaux et climatiques.
La semaine prochaine, le Parlement européen devrait élire la prochaine Présidente de la Commission européenne. Pas gagné pour Madame Von Der Leyen. le Parlement pourrait exiger d’être respecté.
À la suite du dernier scrutin européen, les commentateurs se sont joyeusement questionnés pour savoir qui de Madame Merkel ou de Monsieur Macron avait gagné. L’analyse permet le doute, par contre, il n’y en a pas pour savoir qui est le perdant. Le perdant, c’est la démocratie européenne.
Au lendemain des élections, il
s’agissait de désigner ce que l’on appelle communément les
« topjobs » européens. À savoir, la présidence de la Commission
européenne, la présidence du Conseil européen, celle du Parlement ainsi que
celle de la Banque centrale européenne et de la haute représentation pour les
affaires étrangères.
Le Président de la Commission, appelé à succéder à Jean-Claude, Juncker occupera une fonction dont l’importance peut être assimilée à celle d’un chef de gouvernement même s’il est contraint à construire son équipe avec les Commissaires proposés par les États membres.
Les «Spitzenkandidaten »
Le Traité précise que le Conseil
européen doit, en tenant compte du résultat des élections européennes et après
avoir procédé aux consultations appropriées, proposer au Parlement européen un
candidat à la fonction de Président de la Commission européenne.
En 2014, le Parlement européen,
se basant sur une recommandation de la Commission européenne visant à renforcer
la formation d’une conscience politique européenne et la participation des
citoyens, avait pu imposer que le président de la Commission soit désigné en
fonction du résultat des élections européennes. Le Président de la Commission
devant être la tête de liste de la liste européenne (le «Spitzenkandidat ») arrivée
en tête. C’est sur cette base que Jean-Claude Juncker a été présenté et élu.
Emmanuel Macron Ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique
L’opposition de Macron
En 2019, la même procédure devait
être appliquée et la majorité des partis politiques ont présenté leur tête de
liste à l’exception notable des libéraux qui, suivant la volonté du Président
français, se sont inscrits contre la procédure, expliquant qu’elle ne pouvait être
valide en l’absence d’une circonscription européenne. Argument qui peut
être retenu si l’on omet de dire qu’il permet de masquer l’échec de Macron à imposer
sa candidate au groupe des libéraux et démocrates. Elle a d’ailleurs pu
expliquer en « off » tout le bien qu’elle pensait de ses collègues.
Les débats entre présidents ont
été organisés, mais avant même le résultat des élections, Monsieur Macron s’est
opposé à l’éventualité de la candidature du candidat du PPE, l’allemand Manfred
Weber. La raison invoquée n’était pas la ligne trop droitière du PPE, mais
simplement que son candidat ne maîtrisait pas la langue française.
Il aura fallu passer par un nouveau sommet de la dernière chance pour que les «top jobs» européens soient attribués. Au final, comme l’écrit dans un tweet le journaliste Jean Quatremer, « c’est jeu, set et match » pour Emmanuel Macron. Non content d’avoir liquidé la perspective d’une présidence européenne soutenue par une élection démocratique impliquant les citoyens (même si celle-ci restait limitée et critiquable) il parvient à imposer ses femmes et ses hommes, qui nonobstant leurs qualités certaines, lui seront redevables de leur nomination. En quelque sorte, ces nouveaux princes seront les vassaux du Roi-Soleil.
Ce faisant, Emmanuel Macron
semble avoir fortement contribué à la mise en place d’une équipe qui ne
manquera pas d’amplifier les orientations libérales, voire ultralibérales qui
lui sont chères. Mais ce qui laissera probablement le plus de traces, c’est
l’arrogance et la brutalité dont il a fait preuve. Comme l’évoquait sur les
ondes de RCF le directeur du bureau bruxellois de « Confrontation
Europe », Edouard Simon, « c’est le retour d’une France bonapartiste,
une France qui pense l’Europe comme une France en grand, une France qui n’a pas
encore appris les vertus de l’altérité ».
L’intergouvernementalité
reprend les rênes.
Ce nouvel épisode démontre à
souhait que le projet d’une Europe démocratique est loin d’être achevé. Nous
avons assisté à un grand marchandage où le jeu des fonctions a pris la place du
débat sur les grands défis que doit relever l’Union européenne. Tout au plus,
avons-nous une Union européenne, terrain de jeu des États-nationaux. Pourtant,
ce dont les citoyens européens ont besoin, c’est de pouvoir croire en l’avenir.
Ils attendent de l’Union européenne qu’elle réponde à leurs préoccupations, à
l’emploi, à la protection sociale, à la lutte contre la fraude et l’évasion
fiscale, à la fin du dumping social, à la mise en place d’une véritable
politique migratoire européenne ou encore aux réponses à apporter au défi
climatique.
Année après année, le Parlement européen
a gagné en importance. D’un simple organe consultatif, il est aujourd’hui, au
travers de la procédure de codécision, impliqué dans la majorité des
législations européennes. Avec la liquidation du système des
« spietzenkandidaten » le Parlement européen vient du subir un revers,
il est, en quelque sorte, renvoyé à ses études en espérant qu’il se limitera à
produire des avis et à ne plus perturber le fonctionnement des États nationaux.
Le couple franco-allemand restera au
centre du jeu en considérant comme matière d’appoint les plus petits États.
Cette évolution est une réelle
menace pour la construction d’une Europe comme un espace de démocratie
transnationale. Valéry Pratt dans un récent article évoquait l’opposition de
Jürgen Habermas à ce qu’il appelle « un fédéralisme post-démocratique
de l’exécutif », soit la collusion des intérêts stratégiques entre la
Commission et le Conseil au détriment des citoyens, des peuples et du Parlement,
soit la chaîne de légitimation démocratique[i].
Reprendre le combat pour une
Europe sociale.
Les dirigeants européens resteront-ils
longtemps sourds aux expressions de la crise de la démocratie représentative
dont la montée des populismes n’est, comme l’affirme Christian Godin[1],
que le produit et le symptôme de la crise de la démocratie représentative ?
Allons-nous longtemps rester aveugles face aux dégâts d’un libéralisme débridé
qui nie les enjeux sociaux et environnementaux ? Dans les prochains jours, le Parlement européen
sera appelé à voter sur la proposition du Conseil. Il est clair qu’il est placé
dans une situation où l’on ne voit pas quel sera son espace réel de manœuvre. À
espérer que cette séquence le rende plus combatif pour imposer aux États une Europe
plus proche des citoyens, une Europe non pas au service des marchés, mais au
service des populations, une Europe sociale.
Valery Pratt « Cosmopolitisme, constitutionnalisation du droit international et construction européenne chez Habermas » in Citès n° 78/2019 00
Christian GODIN « Le populisme faute de peuple » in Cités n° 77/2019
C’est avec une large majorité que le Parlement européen a voté la révision de la directive relative au détachement des travailleurs. Ce vote marque une volonté de mettre un terme à la concurrence induite par les différences de coûts salariaux. Le dumping social est un véritable fléau qui touche de nombreux secteurs et mine les fondements de l’Union européenne.
Le texte adopté prévoit l’élargissement de la notion de rémunération. Celle-ci ne se limitera plus au salaire minimum mais intégrera l’ensemble des éléments constitutifs de la rémunération comme les primes ou les barèmes en vigueur. Autre avancée, la prise en compte des conventions collectives qui seront applicables aux travailleurs détachés.
Cette révision était attendue depuis des années. La Commission avait dû retarder sa proposition pour ne pas interférer dans le choix des Britanniques sur le Brexit. Durant plus d’un an et demi, les deux co-rapporteures du Parlement européen, la Française Élisabeth Morin-Chartier et la Néerlandaise Agnes Jongerius ont patiemment construit une position largement soutenue par le Parlement européen; ce qui leur a permis d’entrer en négociation avec les États membres représentés au Conseil.
Le résultat de cette négociation est quelque peu en retrait de la position initiale dans la mesure où sont exclus de la directive la sous-traitance et le secteur du transport. Ce dernier est actuellement abordé dans les discussions relatives à ce que l’on appelle le « Paquet transport ».
L’un des grands mérites de ce compromis est d’avoir réussi à éviter une confrontation entre les « anciens » pays et les nouveaux. J’en tiens pour preuve la position des organisations syndicales des pays faisant partie du groupe de Višegrad. L’ensemble de ces organisations, au même titre que la Confédération européenne des Syndicats, soutient ce texte et a appelé les parlementaires à voter positivement.
Il est clair que cette révision ne va pas solutionner l’ensemble des problèmes, mais elle va dans le bon sens: celui de la convergence sociale. Il faudra tout d’abord que la directive soit rapidement transposée dans les législations nationales et, surtout, que les États membres renforcent les mécanismes de contrôle. Les services nationaux d’inspection du travail doivent disposer de suffisamment de moyens humains et techniques pour mener à bien leur mission. Enfin, la création d’une « autorité européenne du travail » devrait constituer l’embryon d’une inspection sociale à l’échelon européen.
Dans un espace comme l’Union européenne, la mobilité des travailleurs est une richesse. Elle doit être garantie pour tous. Par contre, celle-ci ne peut donner lieu à une dérégulation des marchés du travail en mettant en concurrence les travailleurs salariés entre eux.
Le dumping social ne peut être combattu qu’en évoluant vers une convergence sociale européenne. Il faut avancer vers une plus grande harmonisation de la protection sociale et des niveaux salariaux.
Enfin, il faut combattre la raison première du dumping social: les États qui « exportent » une main d’œuvre bon marché sont ceux qui ne voient pas d’autres possibilités pour rattraper leur retard de développement économique. Lors du dernier grand élargissement, l’Union européenne n’a pas suffisamment épaulé ces pays. Il aurait fallu mettre en place un véritable plan Marshall afin de soutenir le développement économique et social des nouveaux pays grâce à une croissance endogène. Cela aurait permis une plus grande convergence de nos économies. Il n’est jamais trop tard, aussi faudra-t-il doter l’UE d’un budget ambitieux permettant de mener des politiques à la hauteur des défis européens.
Nos démocraties traversent une crise profonde qui, comme l’écrivait le philosophe italien Antonio Gramsci, est un moment où « le vieux monde se meurt et le nouveau tarde à apparaître ». Cet espace de transition est chargé de crainte et d’espoir. La crainte du pire, symbolisée aujourd’hui par la montée en puissance de formations politiques anti-démocratiques et de gouvernements illibéraux (Orbán en Hongrie, Erdogan en Turquie ou encore Trump aux États-Unis). Mais aussi l’espoir d’un approfondissement de nos démocraties comme en témoignent les aspirations fortes à plus de représentation du peuple. C’est ce qui sous-tend notamment les revendications en faveur de referendums, les pétitions, ou encore la mise en place de panels citoyens. Dans une même optique, les plaidoyers en faveur de plus d’égalité et de prise en compte de grands enjeux comme celui du climat répondent à ce besoin d’être davantage écouté. Les actuelles manifestations des étudiants exhortant les représentants politiques à mieux répondre aux défis environnementaux en sont une démonstration des plus réjouissantes.
Il est devenu évident que nos démocraties doivent être consolidées. Il n’est plus possible de se contenter uniquement de l’expression des citoyens au travers des élections et de la désignation de représentants siégeant dans les différents niveaux de pouvoirs. Des réponses concrètes doivent être apportées à cette demande d’implication continue.
Longtemps, les partis politiques ont pu représenter les intérêts de catégories entières de la société. Aujourd’hui, ils sont perçus comme des outils inadéquats car réduits à l’occupation du pouvoir et à leur volonté de capter l’électorat comme une entreprise commerciale tente de se positionner sur base d’études de marché.
Les logiques de court terme qui rythment le monde économique ont contaminé le monde politique. Il se trouve contraint d’articuler ses stratégies au gré des sondages et d’élections. Pourtant, les grands enjeux auxquels nous sommes confrontés appellent des réponses à long terme. C’est notamment le cas des questions environnementales, de l’évolution démographique, mais aussi des migrations, du développement des inégalités et de la pauvreté. À cela s’ajoute l’impact en partie méconnu des évolutions technologiques sur nos vies et même sur la démocratie.
Les nouvelles technologies ont d’ailleurs déjà une importance significative. Elles façonnent même nos comportements. À peine ai-je désiré quelque chose qu’en quelques clics, c’est commandé et tout bientôt livré. Twitter incite les citoyens, voire certains chefs d’État qui en font leur seul créneau d’expression, à une limitation de la pensée à 140 signes. De même que notre culture du débat semble réduite à un raisonnement binaire du type « Je like / Je ne like pas ». Et les algorithmes de limiter le champ de nos interactions en nous proposant en priorité des arguments qui nous confortent nos propres certitudes.
Face à des questions complexes, nous ne pouvons nous contenter de répondre par « oui » ou « non ». Nous ne pouvons apprécier le monde sans nuances au travers d’un prisme manichéen. Nos démocraties doivent devenir plus représentatives mais surtout plus délibératives. Cette exigence réclame le développement des outils d’Education Permanente où les citoyens sont amenés à comprendre, à juger et, surtout, à définir comment ils peuvent devenir collectivement des acteurs de changement.
Cela impose aussi aux gouvernants de sortir de postures jupitériennes et de la vision de gouvernant en prise directe avec des citoyens individualisés et isolés. Pour rendre tout son sens aux mécanismes d’intermédiation sociale, il faut impliquer les partenaires sociaux, mais aussi les associations, les ONG et les divers collectifs désireux de s’impliquer dans les débats démocratiques. C’est là une voie indispensable pour permettre de rassembler les revendications, construire le vivre ensemble et favoriser la cohésion de nos sociétés.
Répondre au désenchantement démocratique impose de repenser nos modes de représentation et de rendre aux mécanismes d’intermédiation sociale leur place pleine et entière. Les outils d’Éducation permanente sont autant de clés indispensables à la formation d’opinions capables d’intégrer la complexité des enjeux.
Des mouvements comme celui des Gilets jaunes démontrent à l’envi que de nombreux citoyens ne se sentent pas reconnus, voire méprisés par ce qu’ils perçoivent comme les « pouvoirs ». Combattre le mépris demande de la reconnaissance. De la reconnaissance en tant citoyen et, plus largement, en tant que personne. C’est en donnant toute sa place à l’Autre que nous serons en mesure de réenchanter les démocraties.
Opinion publiée dans le magazine « POUR » le 4 février 2019
La question des risques sociaux et celle des risques environnementaux sont intimement liées. Elles se croisent aujourd’hui au sein des « gilets jaunes ». Cette colère a pris sa source à l’aune de la hausse de la taxe sur le carburant, mais celle-ci est, semble-t-il, la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Le mouvement entend aussi dénoncer une baisse pouvoir d’achat et atteste de l’affaiblissement des mécanismes d’intermédiation sociale. De nombreux citoyens se sentent délaissés dans ce monde globalisé où le pouvoir échappe aux acteurs « lambda » qu’ils soient politiques ou sociaux.
Nos sociétés d’après-guerre se sont édifiées sur un compromis social : celui d’un marché libre compensé par des dispositifs collectifs, le droit du travail et la protection sociale. Aujourd’hui, ce compromis est remis en question. L’affaiblissement structurel des dispositifs collectifs a pour conséquence d’isoler les individus, en particulier les salariés, les précarisés mais également les classes moyennes.
L’Europe sociale se fait attendre
L’Europe sociale serait-elle, comme dans les légendes, le trésor censé se trouver au pied de l’arc-en-ciel : plus on croit s’en rapprocher, plus il s’éloigne ? Le progrès social semble être devenu une cible hors de portée.
Petit retour au berceau de l’Europe sociale pour en comprendre l’évolution. Bien avant la naissance de l’Union européenne, les solidarités se construisaient au départ des familles, sur base clanique, à l’intérieur de la cité puis au-delà. Avec l’industrialisation, les revendications sociales se sont fait jour dans les ateliers tout d’abord jusqu’à atteindre ensuite le niveau des États-nations. Cela explique que les matières sociales soient encore aujourd’hui des compétences nationales, en grande majorité.
Dans l’immédiate après-guerre, la prise en compte du « social » s’est axée sur la volonté de reconstruire rapidement l’économie européenne, dans une vision libérale (économiquement et politiquement) et la crainte d’une contamination communiste. Cette double conception a présidé au développement social progressif au niveau européen, notamment avec l’intégration de représentants des salariés dans les organes de la CECA.
La période qui s’en est suivi – les années 60-70 – a été celle de la construction européenne auréolée d’une amélioration constante des conditions de vie, avec le soutien passif des populations. Puis vint la période qui a véritablement marqué l’Europe sociale de son empreinte (au point que l’on s’y réfère encore aujourd’hui) : celle de Jacques Delors, à la tête de la Commission européenne de 1985 à 1995. En découlent, entre autres, la mise en place du dialogue social européen et l’émergence de partenaires sociaux à l’échelon européen.
Cet « âge d’or » de l’Europe sociale prit fin au cours des années Thatcher-Reagan, marquées du sceau du néo-libéralisme, avec l’avènement de la globalisation et de la financiarisation de l’économie. Elles signent la fin des idées de planification, populaires du temps des Jean Monnet et autres Mansholt.
Avec la chute du mur de Berlin et la disparition du « danger rouge », dans les années 90, il est devenu « moins nécessaire » de faire des concessions vis-à-vis salariés. A ce délitement des collectifs de travail et à l’individualisation galopante dans la vieille Europe s’est ajoutée la faiblesse des organisations syndicales et l’absence de culture de concertation sociale dans les anciens pays communistes ; ce qui modifia considérablement le rapport de force sur le terrain social.
La création de la monnaie unique eut également son revers : la dévaluation compétitive était désormais impossible. Les États privilégièrent alors les dévaluations salariales et la diminution des protections sociales, fragilisant ainsi l’édifice – toujours en construction – de l’Europe sociale.
D’inspiration très libérale, avec la Commission Barroso, les années 2000 sont celles des crises financières et aussi des politiques austéritaires sur lesquelles s’est arque-boutée l’Union européenne avec les conséquences désastreuses que l’on sait.
Aujourd’hui, le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, s’est donné pour mission de redéployer la dimension sociale de l’Europe, mettant en ligne de mire dès son investiture un « Trilple A social ». Malheureusement, le démarrage fut ralenti par d’importants soubresauts tels que les Luxleaks et le Brexit. À sa décharge, la préséance des 28 chefs d’États et de gouvernement réunis au Conseil n’aide pas à faire avancer rapidement la cause sociale. Notons toutefois un pas dans la bonne direction : le Sommet de Göteborg qui s’est tenu en novembre 2017 et a abouti à la proclamation du Socle européen des Droits sociaux. Le travail se poursuit dans un certain nombre de dossiers, mais il reste fort à faire. En tant que vice-Président de la commission Emploi et Affaires sociales au Parlement européen, je suis bien placé pour percevoir les lignes de fractures dans les débats consacrés aux enjeux sociaux européens. En simplifiant quelque peu, les débats politiques se cristallisent essentiellement autour d’un axe gauche-droite, en parallèle d’une autre ligne de démarcation entre « anciens » et « nouveaux » États membres. Ces derniers n’ayant pas la même histoire, ils réservent une place plus réduite aux partenaires sociaux.
Lors de la prochaine législature 2019-2024, l’Union européenne devra impérativement passer des paroles aux actes pour rendre à l’Union européenne son caractère social, et surtout le prouver sur le terrain à ses 500 millions de citoyens. Faute de quoi, les forces anti-européennes l’emporteront dans un repli nationaliste.
Les gilets jaunes, dans l’antichambre de l’Europe sociale
Ce n’est pas anodin si le mouvement des « gilets jaunes » prend une telle ampleur dans un pays comme la France où le pouvoir s’exerce de façon particulièrement verticale et où les corps intermédiaires sont particulièrement fragilisés. Ce mouvement atteste qu’une transition écologique n’est possible que si elle est soutenue par des politiques sociales, en particulier à destination des moins favorisées. À l’exception des climato-sceptiques qui font le choix des égoïsmes à court terme, tout le monde considère aujourd’hui que la transition écologique vers une économie décarbonée est un enjeu central pour l’avenir de nos sociétés. Le terreau de cette révolte est à chercher dans les politiques sociales régressives, où les plus démunis sont sans cesse mis à contribution quand les plus riches, eux, en sont dispensés (cf. disparition de la taxe sur la fortune et autres évasions fiscales). Les citoyens ne savent pas de quoi demain sera fait. Ils craignent pour l’avenir de leurs enfants et aussi pour leur retraite. Ils ne se sentent plus écoutés ni respectés par les élites. De plus, ils voient les pôles de décisions s’éloigner de leurs territoires. Les services de proximité disparaissent peu à peu des zones rurales avec pour conséquence de devoir parcourir de plus en plus de kilomètres pour aller travailler, se rendre à la gare, au bureau de poste ou régler des tâches administratives. Enfin, ces territoires oubliés sont devenus des déserts de soins médicaux.
L’affaiblissement des dimensions collectives et des outils d’intermédiation sociale provoque le délitement du vivre-ensemble et place le citoyen seul face à ses inquiétudes, face à ses doutes.
Comme derniers rempart face au néo-libéralisme, on retrouve les mouvements syndicaux et également les mutualités, qui reposent sur des millions de membres et sont portées par des dizaines de milliers de bénévoles. Comme autant de pôles de solidarité et de résistance face au règne de l’individualisme.
Ma conviction est que l’Europe de demain sera sociale ou ne sera pas. Plus qu’un défi, cette Europe qui protège socialement et environnementalement est une nécessité. En cela, la proposition du leader de la CFDT, Laurent Berger, qui réclame un « Pacte social pour la conversion écologique » me parait pertinente. Pourquoi ne pas en défendre l’idée au niveau européen? C’est là un enjeu majeur des prochaines élections européennes qui se tiendront en mai prochain.